Un savoir millénaire au service de la santé
Cet article est le premier d’une série de 3 articles consacrés à la pharmacopée chinoise. Ils ont pour objectif de démystifier cette discipline et de permettre au lecteur d’appréhender toute la valeur et la sagesse qu’elle recèle.
La pharmacopée chinoise, pilier de la médecine traditionnelle chinoise (MTC), est une discipline millénaire. Elle intègre une compréhension holistique de l’être humain, considéré comme une unité indissociable de corps et d’esprit.
Ancrée dans les principes du taoïsme, elle repose sur l’équilibre dynamique du qì (souffle vital), du yīn et du yáng, et des cinq mouvements (wǔ xíng : Bois, Feu, Terre, Métal, Eau). La MTC envisage la santé comme un état d’harmonie entre l’individu et son environnement, influencé par les saisons, les émotions et les cycles cosmiques.
Les textes fondateurs, tels que le Shén Nóng Běn Cǎo Jīng (Classique de la matière médicale de Shén Nóng, environ 200 av. notre ère) et le Shāng Hán Lùn de Zhāng Zhòngjǐng (IIe siècle), codifient les propriétés des substances médicinales, leurs combinaisons et leurs applications thérapeutiques. Ces ouvrages décrivent des centaines de remèdes, principalement végétaux, mais aussi animaux et minéraux. Chacun d’eux est caractérisé par sa nature (sì qì : froid, frais, tiède, chaud), sa saveur (wǔ wèi : piquant, doux, acide, amer, salé), ainsi que son tropisme énergétique (méridiens ou organes cibles).
La pharmacopée chinoise ne se limite pas à l’utilisation isolée de substances. Elle s’appuie sur des ordonnances (fāng) où plusieurs ingrédients agissent en synergie pour traiter les déséquilibres complexes du corps-esprit. Cette approche systémique, qui combine observation empirique et principes philosophiques, vise à rétablir la circulation harmonieuse du qì, à corriger les déséquilibres yīn-yáng et à éliminer les facteurs pathogènes (bìng xié).
Une grande diversité de substances naturelles
La pharmacopée chinoise utilise donc des substances végétales, aussi bien que des substances animales, minérales, fongiques ou organique. Chacune est sélectionnée pour ses propriétés spécifiques et son action sur les méridiens, les organes et les flux énergétiques.
Ces remèdes agissent en synergie pour traiter l’individu. Par ce savoir ancestral, la pharmacopée chinoise ne se contente pas de guérir : elle prévient, harmonise et équilibre l’être dans ses dimensions physique, émotionnelle et spirituelle.
Substances végétales
Les plantes dominent la pharmacopée chinoise ; elles représentent environ 80 % des substances. On utilise différentes parties des végétaux (voir plus bas). Par exemple les fruits (guǒ), comme Shān Zhā (Crataegus pinnatifida) facilitent la digestion des graisses. Ou encore les rhizomes, comme Huáng Lián (Coptis chinensis), drainent le feu du Cœur et de l’Estomac et sont utilisés pour les ulcères buccaux ou l’irritabilité.

Substances Animales
Les substances animales, bien que moins fréquentes, sont essentielles dans certains contextes. Lù Jiǎo (corne de cerf) tonifie le yáng des Reins. Elle est indiquée pour les faiblesses sexuelles ou les douleurs lombaires. Mǔ Lì (coquille d’huître) ancre le yáng et calme l’esprit. Elle est prescrite pour l’insomnie ou l’agitation. Leur usage est strictement encadré pour respecter les principes éthiques et les cycles naturels.

Substances Minérales
Les minéraux font aussi partie des remèdes de la pharmacopée. Ainsi, Shí Gāo – le gypse – apaise la chaleur excessive dans les syndromes de fièvre élevée. Zhū Shā – le cinabre – calme l’esprit, mais son usage est limité en raison de sa toxicité. Lóng Gǔ – os de dragon fossilisés – ancre l’esprit et stabilise les émotions.

Substances fongiques
Des substances fongiques sont également utilisées. Ainsi Fú Líng (Poria cocos), un champignon, agit sur l’humidité et la Rate, favorisant l’élimination des fluides pathogènes. Ces substances sont considérées comme des intermédiaires entre le végétal et le minéral ; elles incarnent l’élément Terre.

Les différentes substances végétales
Dans la pharmacopée chinoise, on exploite les différentes parties des plantes médicinales : racines, feuilles, tiges, fleurs, écorces et graines. Chaque partie est utilisées pour ses propriétés thérapeutiques uniques.
Chaque partie est associée à un éléments des cinq mouvements (Terre, Bois, Feu, Métal, Eau). Elle joue un rôle spécifique dans le rétablissement de l’équilibre du qì, du yīn et du yáng.
Les racines, comme Dǎng Shēn ou Huáng Qí, tonifient et nourrissent, elles transmettent l’idée de la stabilité de la Terre.
Les feuilles, telle Bò He, dispersent le vent et ciblent les couches superficielles, incarnant la vitalité du Bois. Les tiges, comme Pú Gōng Yīng, régulent les flux énergétiques. Les fleurs, comme Jú Huā, apaisent les émotions liées au Feu.
Enfin, les écorces, telle Dù Zhòng – associées au Métal – protègent et renforcent. Et les graines, comme Gǒu Qǐ Zǐ, concentrent l’essence vitale de l’Eau.
Récoltées à des moments précis pour maximiser leur énergie, ces parties sont combinées en formules synergiques, reflétant une approche holistique où chaque élément contribue à harmoniser le corps et l’esprit.

Zoom sur les substances végétales
Les Racines (Gēn)
Les racines (gēn) sont parmi les parties les plus utilisées en raison de leur forte concentration en principes actifs, associés à l’élément Terre, symbole de stabilité et de nourriture.
Elles sont récoltées en automne ou en hiver, lorsque l’énergie de la plante se concentre sous terre. Par exemple, Dǎng Shēn (Codonopsis pilosula) tonifie le qì de la Rate et de l’Estomac. On l’utilise dans les cas de fatigue chronique ou de troubles digestifs.
Huáng Qí (Astragalus membranaceus), une autre racine tonifiante, renforce le qì défensif (wèi qì) pour soutenir l’immunité et prévenir les infections. Les racines comme Shēng Dì Huáng (Rehmannia glutinosa) nourrissent le yīn et sont prescrites pour les syndromes de vide de yīn, comme la soif ou les bouffées de chaleur.
Les feuilles (Yè)
Les feuilles (yè), liées à l’élément Bois, captent l’énergie du vent et du mouvement. Elles sont récoltées au printemps ou en été, lorsque leur vitalité est à son apogée.
Sāng Yè (Morus alba) disperse le vent-chaleur dans les affections pulmonaires, comme les toux sèches ou les fièvres légères.
Bò He (Mentha haplocalyx), avec ses feuilles aromatiques, libère la surface (biǎo) en favorisant la sudorification dans les syndromes d’attaque externe. Leur action est souvent ascendante et dispersante, ciblant les couches superficielles du corps.
Les tiges (Jīng)
Les tiges (jīng) régulent les mouvements du qì, qu’ils soient ascendants (shēng) ou descendants (jiàng). Récoltées au printemps, elles incarnent la vigueur de la sève.
Pú Gōng Yīng (Taraxacum mongolicum) draine l’humidité-chaleur, utilisé dans les infections urinaires ou les abcès.
Húo Má Rén (Cannabis sativa, tige) agit sur l’intestin pour lubrifier et faciliter la défécation dans les cas de constipation.
Les fleurs (Huā)
Les fleurs (huā), associées à l’élément Feu, sont récoltées à leur pleine floraison pour capter leur énergie yáng. Elles influencent souvent l’état émotionnel et les fonctions du Foie.
Jú Huā (Chrysanthemum morifolium) apaise le Foie, clarifie la vision et disperse le vent-chaleur, indiqué pour les maux de tête ou les irritations oculaires.
Jīn Yín Huā (Lonicera japonica) élimine la chaleur toxique dans les infections comme les angines.
L’ecorces (Pí)
Les écorces (pí), liées à l’élément Métal, sont récoltées en automne ou au printemps, lorsque la sève est abondante. Elles ont une action protectrice et astringente.
Dù Zhòng (Eucommia ulmoides) renforce les Reins et les os ; il est utilisé pour les douleurs lombaires. Huáng Bǎi (Phellodendron amurense) draine l’humidité-chaleur, notamment dans les infections génito-urinaires.
Graines (Zǐ)
Les graines (zǐ), associées à l’élément Eau, sont récoltées à maturité pour leur capacité à stocker l’énergie vitale (jīng). Gǒu Qǐ Zǐ (Lycium barbarum) nourrit le yīn du Foie et des Reins, améliorant la vision et la vitalité. Sū Zǐ (Perilla frutescens) descend le qì pulmonaire, soulageant l’asthme ou la toux.
Préparation des plantes et substances
La préparation des remèdes traditionnels, bien que parfois simple (séchage, découpage pour décoctions), requiert souvent des techniques spécifiques. Ces techniques permettent de répondre à des objectifs précis : faciliter l’absorption, assurer la conservation, réduire la toxicité, modifier les propriétés énergétiques, augmenter l’efficacité ou éliminer les constituants indésirables.
Ces procédés, rigoureusement élaborés au fil de l’histoire de la pharmacopée chinoise, restent strictement appliqués aujourd’hui pour garantir la fiabilité des remèdes.
Séchage (Gān)
Le séchage (gān) est essentiel pour préserver les substances. Les plantes comme Bái Zhú (Atractylodes macrocephala) sont séchées au soleil pour renforcer leur action tonifiante, tandis que les fleurs comme Jú Huā sont séchées à l’ombre pour préserver leurs huiles essentielles. Le séchage au soleil (shài gān) accentue les propriétés yáng, tandis que le séchage à l’ombre (yīn gān) préserve le yīn.
Macération (Jìn)
La macération (jìn) extrait les principes actifs en trempant les substances dans l’eau, le vin (yào jiǔ), ou l’huile. Dāng Guī (Angelica sinensis) macéré dans du vin renforce la circulation du sang ; elle est utilisée pour lutter contre les douleurs menstruelles. La macération dans l’eau de riz (mǐ shuǐ) harmonise les fonctions digestives, comme pour Fú Líng.
Poudre (Fěn)
La réduction en poudre (fěn) facilite l’administration et la conservation. Les substances comme Mǔ Lì sont pulvérisées pour les pilules ou les applications locales. La poudre Píng Wèi Sǎn combine Cāng Zhú, Hòu Pò et Gān Cǎo pour éliminer l’humidité et soulager les nausées.
Cuisson au Feu (Huǒ Zhì)
La cuisson (huǒ zhì) modifie les propriétés énergétiques. Gān Jiāng (Zingiber officinale séché) est chauffé pour réchauffer le Froid de l’Estomac, contrairement au gingembre cru (shēng jiāng), qui disperse le vent-froid. La torréfaction (chǎo) renforce les effets tonifiants, comme pour Bái Zhú Chǎo.
Cuisson sous la Cendre (Wèi)
La cuisson sous la cendre (wèi) consiste à envelopper les substances dans du papier humide ou de la pâte de riz et à les chauffer sous des cendres chaudes. Cette méthode réduit les huiles volatiles (huiles essencielles) pour éviter les effets secondaires. Par exemple, Mù Xiāng (Saussurea lappa) préparé selon cette méthode (wèi mù xiāng) est utilisé pour réguler le qì de l’Estomac sans provoquer d’irritation.
Calcination (Duàn)
La calcination (duàn) consiste à brûler les substances à haute température pour les réduire en cendres, éliminant les impuretés et modifiant leur nature. Mǔ Lì calciné (duàn mǔ lì) devient plus astringent ; il est utilisé pour arrêter les sueurs spontanées ou les pertes séminales. Cette méthode est courante pour les substances minérales comme Lóng Gǔ.
Fermentation (Fā Xiào)
La fermentation (fā xiào) active les propriétés biologiques des substances. Par exemple, Shén Qū (Massa medicata fermentata), obtenu par fermentation de céréales, facilite la digestion et traite les stagnations alimentaires.
Pharmacopée et Cosmologie
Dans la pensée traditionnelle chinoise, l’être humain se tient entre le Ciel (天) et la Terre (地), tel que le symbolise le diagramme hérité de Mengzi : un axe vertical où l’Homme (人) incarne le trait d’union entre les lois célestes et les manifestations terrestres.
Ce schéma cosmologique guide l’ensemble de la médecine chinoise, en particulier la pharmacopée. Chaque remède est plus qu’une simple substance : il est un vecteur d’harmonisation entre les forces cosmiques et corporelles. Les plantes, minéraux, animaux et champignons sont choisis non seulement pour leurs effets physiologiques, mais pour leur capacité à rectifier les flux énergétiques (qì), équilibrer le yīn et le yáng, et résonner avec les organes selon les cinq mouvements.

Les racines, ancrées dans la Terre, nourrissent la stabilité ; les fleurs, proches du Ciel, élèvent et dispersent. Ainsi, chaque remède s’inscrit dans un dialogue subtil entre le haut et le bas, entre l’invisible et le tangible. Le diagramme rappelle que la santé n’est pas simplement absence de maladie, mais alignement entre notre nature profonde, notre environnement, et les lois du Ciel — et la pharmacopée est l’instrument précis de cette restauration.
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