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Pharmacopée – les ingrédients

Pharmacopée – les ingrédients

Un savoir millénaire au service de la santé

Cet article est le premier d’une série de 3 articles consacrés à la pharmacopée chinoise. Ils ont pour objectif de démystifier cette discipline et de permettre au lecteur d’appréhender toute la valeur et la sagesse qu’elle recèle.

La pharmacopée chinoise, pilier de la médecine traditionnelle chinoise (MTC), est une discipline millénaire. Elle intègre une compréhension holistique de l’être humain, considéré comme une unité indissociable de corps et d’esprit.

Ancrée dans les principes du taoïsme, elle repose sur l’équilibre dynamique du qì (souffle vital), du yīn et du yáng, et des cinq mouvements (wǔ xíng : Bois, Feu, Terre, Métal, Eau). La MTC envisage la santé comme un état d’harmonie entre l’individu et son environnement, influencé par les saisons, les émotions et les cycles cosmiques.

Les textes fondateurs, tels que le Shén Nóng Běn Cǎo Jīng (Classique de la matière médicale de Shén Nóng, environ 200 av. notre ère) et le Shāng Hán Lùn de Zhāng Zhòngjǐng (IIe siècle), codifient les propriétés des substances médicinales, leurs combinaisons et leurs applications thérapeutiques. Ces ouvrages décrivent des centaines de remèdes, principalement végétaux, mais aussi animaux et minéraux. Chacun d’eux est caractérisé par sa nature (sì qì : froid, frais, tiède, chaud), sa saveur (wǔ wèi : piquant, doux, acide, amer, salé), ainsi que son tropisme énergétique (méridiens ou organes cibles).

La pharmacopée chinoise ne se limite pas à l’utilisation isolée de substances. Elle s’appuie sur des ordonnances (fāng) où plusieurs ingrédients agissent en synergie pour traiter les déséquilibres complexes du corps-esprit. Cette approche systémique, qui combine observation empirique et principes philosophiques, vise à rétablir la circulation harmonieuse du qì, à corriger les déséquilibres yīn-yáng et à éliminer les facteurs pathogènes (bìng xié).

Une grande diversité de substances naturelles

La pharmacopée chinoise utilise donc des substances végétales, aussi bien que des substances animales, minérales, fongiques ou organique. Chacune est sélectionnée pour ses propriétés spécifiques et son action sur les méridiens, les organes et les flux énergétiques.

Ces remèdes agissent en synergie pour traiter l’individu. Par ce savoir ancestral, la pharmacopée chinoise ne se contente pas de guérir : elle prévient, harmonise et équilibre l’être dans ses dimensions physique, émotionnelle et spirituelle.

Substances végétales

Les plantes dominent la pharmacopée chinoise ; elles représentent environ 80 % des substances. On utilise différentes parties des végétaux (voir plus bas). Par exemple les fruits (guǒ), comme Shān Zhā (Crataegus pinnatifida) facilitent la digestion des graisses. Ou encore les rhizomes, comme Huáng Lián (Coptis chinensis), drainent le feu du Cœur et de l’Estomac et sont utilisés pour les ulcères buccaux ou l’irritabilité.

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Substances Animales

Les substances animales, bien que moins fréquentes, sont essentielles dans certains contextes. Lù Jiǎo (corne de cerf) tonifie le yáng des Reins. Elle est indiquée pour les faiblesses sexuelles ou les douleurs lombaires. Mǔ Lì (coquille d’huître) ancre le yáng et calme l’esprit. Elle est prescrite pour l’insomnie ou l’agitation. Leur usage est strictement encadré pour respecter les principes éthiques et les cycles naturels.

Substances Minérales

Les minéraux font aussi partie des remèdes de la pharmacopée. Ainsi, Shí Gāo – le gypse – apaise la chaleur excessive dans les syndromes de fièvre élevée. Zhū Shā – le cinabre – calme l’esprit, mais son usage est limité en raison de sa toxicité. Lóng Gǔ – os de dragon fossilisés –  ancre l’esprit et stabilise les émotions.

Substances fongiques

Des substances fongiques sont également utilisées. Ainsi  Fú Líng (Poria cocos), un champignon, agit sur l’humidité et la Rate, favorisant l’élimination des fluides pathogènes. Ces substances sont considérées comme des intermédiaires entre le végétal et le minéral ; elles incarnent l’élément Terre.

Les différentes substances végétales

Dans la pharmacopée chinoise, on exploite les différentes parties des plantes médicinales : racines, feuilles, tiges, fleurs, écorces et graines. Chaque partie est utilisées pour ses propriétés thérapeutiques uniques.

Chaque partie est associée à un éléments des cinq mouvements (Terre, Bois, Feu, Métal, Eau). Elle joue un rôle spécifique dans le rétablissement de l’équilibre du qì, du yīn et du yáng.

Les racines, comme Dǎng Shēn ou Huáng Qí, tonifient et nourrissent, elles transmettent l’idée de la stabilité de la Terre.

Les feuilles, telle Bò He, dispersent le vent et ciblent les couches superficielles, incarnant la vitalité du Bois. Les tiges, comme Pú Gōng Yīng, régulent les flux énergétiques. Les fleurs, comme Jú Huā, apaisent les émotions liées au Feu.

Enfin, les écorces, telle Dù Zhòng – associées au Métal – protègent et renforcent. Et les graines, comme Gǒu Qǐ Zǐ, concentrent l’essence vitale de l’Eau.

Récoltées à des moments précis pour maximiser leur énergie, ces parties sont combinées en formules synergiques, reflétant une approche holistique où chaque élément contribue à harmoniser le corps et l’esprit.

Zoom sur les substances végétales

Les Racines (Gēn)

Les racines (gēn) sont parmi les parties les plus utilisées en raison de leur forte concentration en principes actifs, associés à l’élément Terre, symbole de stabilité et de nourriture.

Elles sont récoltées en automne ou en hiver, lorsque l’énergie de la plante se concentre sous terre. Par exemple, Dǎng Shēn (Codonopsis pilosula) tonifie le qì de la Rate et de l’Estomac. On l’utilise dans les cas de fatigue chronique ou de troubles digestifs.

Huáng Qí (Astragalus membranaceus), une autre racine tonifiante, renforce le qì défensif (wèi qì) pour soutenir l’immunité et prévenir les infections. Les racines comme Shēng Dì Huáng (Rehmannia glutinosa) nourrissent le yīn et sont prescrites pour les syndromes de vide de yīn, comme la soif ou les bouffées de chaleur.

Les feuilles ()

Les feuilles (), liées à l’élément Bois, captent l’énergie du vent et du mouvement. Elles sont récoltées au printemps ou en été, lorsque leur vitalité est à son apogée.

Sāng Yè (Morus alba) disperse le vent-chaleur dans les affections pulmonaires, comme les toux sèches ou les fièvres légères.

Bò He (Mentha haplocalyx), avec ses feuilles aromatiques, libère la surface (biǎo) en favorisant la sudorification dans les syndromes d’attaque externe. Leur action est souvent ascendante et dispersante, ciblant les couches superficielles du corps.

Les tiges (Jīng)

Les tiges (jīng) régulent les mouvements du qì, qu’ils soient ascendants (shēng) ou descendants (jiàng). Récoltées au printemps, elles incarnent la vigueur de la sève.

Pú Gōng Yīng (Taraxacum mongolicum) draine l’humidité-chaleur, utilisé dans les infections urinaires ou les abcès.

Húo Má Rén (Cannabis sativa, tige) agit sur l’intestin pour lubrifier et faciliter la défécation dans les cas de constipation.

Les fleurs (Huā)

Les fleurs (huā), associées à l’élément Feu, sont récoltées à leur pleine floraison pour capter leur énergie yáng. Elles influencent souvent l’état émotionnel et les fonctions du Foie.

Jú Huā (Chrysanthemum morifolium) apaise le Foie, clarifie la vision et disperse le vent-chaleur, indiqué pour les maux de tête ou les irritations oculaires.

Jīn Yín Huā (Lonicera japonica) élimine la chaleur toxique dans les infections comme les angines.

L’ecorces ()

Les écorces (), liées à l’élément Métal, sont récoltées en automne ou au printemps, lorsque la sève est abondante. Elles ont une action protectrice et astringente.

Dù Zhòng (Eucommia ulmoides) renforce les Reins et les os ; il est utilisé pour les douleurs lombaires. Huáng Bǎi (Phellodendron amurense) draine l’humidité-chaleur, notamment dans les infections génito-urinaires.

Graines (Zǐ)

Les graines (zǐ), associées à l’élément Eau, sont récoltées à maturité pour leur capacité à stocker l’énergie vitale (jīng). Gǒu Qǐ Zǐ (Lycium barbarum) nourrit le yīn du Foie et des Reins, améliorant la vision et la vitalité. Sū Zǐ (Perilla frutescens) descend le qì pulmonaire, soulageant l’asthme ou la toux.

Préparation des plantes et substances

La préparation des remèdes traditionnels, bien que parfois simple (séchage, découpage pour décoctions), requiert souvent des techniques spécifiques. Ces techniques permettent de répondre à des objectifs précis : faciliter l’absorption, assurer la conservation, réduire la toxicité, modifier les propriétés énergétiques, augmenter l’efficacité ou éliminer les constituants indésirables.

Ces procédés, rigoureusement élaborés au fil de l’histoire de la pharmacopée chinoise, restent strictement appliqués aujourd’hui pour garantir la fiabilité des remèdes.

Séchage (Gān)

Le séchage (gān) est essentiel pour préserver les substances. Les plantes comme Bái Zhú (Atractylodes macrocephala) sont séchées au soleil pour renforcer leur action tonifiante, tandis que les fleurs comme Jú Huā sont séchées à l’ombre pour préserver leurs huiles essentielles. Le séchage au soleil (shài gān) accentue les propriétés yáng, tandis que le séchage à l’ombre (yīn gān) préserve le yīn.

Macération (Jìn)

La macération (jìn) extrait les principes actifs en trempant les substances dans l’eau, le vin (yào jiǔ), ou l’huile. Dāng Guī (Angelica sinensis) macéré dans du vin renforce la circulation du sang ; elle est utilisée pour lutter contre les douleurs menstruelles. La macération dans l’eau de riz (mǐ shuǐ) harmonise les fonctions digestives, comme pour Fú Líng.

Poudre (Fěn)

La réduction en poudre (fěn) facilite l’administration et la conservation. Les substances comme Mǔ Lì sont pulvérisées pour les pilules ou les applications locales. La poudre Píng Wèi Sǎn combine Cāng Zhú, Hòu Pò et Gān Cǎo pour éliminer l’humidité et soulager les nausées.

Cuisson au Feu (Huǒ Zhì)

La cuisson (huǒ zhì) modifie les propriétés énergétiques. Gān Jiāng (Zingiber officinale séché) est chauffé pour réchauffer le Froid de l’Estomac, contrairement au gingembre cru (shēng jiāng), qui disperse le vent-froid. La torréfaction (chǎo) renforce les effets tonifiants, comme pour Bái Zhú Chǎo.

Cuisson sous la Cendre (Wèi)

La cuisson sous la cendre (wèi) consiste à envelopper les substances dans du papier humide ou de la pâte de riz et à les chauffer sous des cendres chaudes. Cette méthode réduit les huiles volatiles (huiles essencielles) pour éviter les effets secondaires. Par exemple, Mù Xiāng (Saussurea lappa) préparé selon cette méthode (wèi mù xiāng) est utilisé pour réguler le qì de l’Estomac sans provoquer d’irritation.

Calcination (Duàn)

La calcination (duàn) consiste à brûler les substances à haute température pour les réduire en cendres, éliminant les impuretés et modifiant leur nature. Mǔ Lì calciné (duàn mǔ lì) devient plus astringent ; il est utilisé pour arrêter les sueurs spontanées ou les pertes séminales. Cette méthode est courante pour les substances minérales comme Lóng Gǔ.

Fermentation (Fā Xiào)

La fermentation (fā xiào) active les propriétés biologiques des substances. Par exemple, Shén Qū (Massa medicata fermentata), obtenu par fermentation de céréales, facilite la digestion et traite les stagnations alimentaires.

Pharmacopée et Cosmologie

Dans la pensée traditionnelle chinoise, l’être humain se tient entre le Ciel (天) et la Terre (地), tel que le symbolise le diagramme hérité de Mengzi : un axe vertical où l’Homme (人) incarne le trait d’union entre les lois célestes et les manifestations terrestres.

Ce schéma cosmologique guide l’ensemble de la médecine chinoise, en particulier la pharmacopée. Chaque remède est plus qu’une simple substance : il est un vecteur d’harmonisation entre les forces cosmiques et corporelles. Les plantes, minéraux, animaux et champignons sont choisis non seulement pour leurs effets physiologiques, mais pour leur capacité à rectifier les flux énergétiques (qì), équilibrer le yīn et le yáng, et résonner avec les organes selon les cinq mouvements.

Les racines, ancrées dans la Terre, nourrissent la stabilité ; les fleurs, proches du Ciel, élèvent et dispersent. Ainsi, chaque remède s’inscrit dans un dialogue subtil entre le haut et le bas, entre l’invisible et le tangible. Le diagramme rappelle que la santé n’est pas simplement absence de maladie, mais alignement entre notre nature profonde, notre environnement, et les lois du Ciel — et la pharmacopée est l’instrument précis de cette restauration.

Les syndromes d’obstruction

Les syndromes d’obstruction

Comprendre les syndromes d’obstruction douloureuse

Les Bi, ou syndromes d’obstruction douloureuse, sont des syndromes cliniques fréquemment rencontrés. Ils sont la conséquence de l’obstruction des méridiens par l’association des « trois démons » (Vent-Froid-Humidité) selon la MTC. Ceux-ci correspondent à de multiples pathologies de la médecine occidentale comme l’arthrose, l’arthrite, la fibromyalgie… parmi tant d’autres.
Partons à la découverte de ces Bi à travers l’histoire de Koffi.

Le matin où tout a coincé

Koffi n’est pas un héros, ni un sage, ni un grand malade. Il est juste un homme… normal.
Graphiste à son compte, âgé de 36 ans, il vit dans un petit appartement, entouré de ses plantes et de son chat Nouille. Deux à trois fois par semaines, il court quelques kilomètres. Il s’est accommodé à ces douleurs qu’il ressent régulièrement au réveil : “j’ai dû dormir de travers”.
Mais un matin, en posant le pied au sol, une douleur fulgurante lui traverse la hanche. Pas assez violente pour hurler, mais trop précise pour être ignorée. Il s’étire, secoue la jambe mais rien n’y fait. Et Koffi se dit : « C’est officiel. Je vieillis. »
Mais cette douleur le dérange, il n’en comprend pas la cause. Il passe la journée à boiter, à chercher sur internet : “douleur hanche droite au réveil sans raison”, à explorer des forums mais sans résultat.
Le soir venu, un ami lui parle d’un “médecin chinois” installé pas loin, dans une petite cour discrète. Poussé à bout par la fatigue, la douleur, et sans doute un brin de curiosité, Koffi prend rendez-vous.

Chez le docteur Shen

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Le médecin chinois est un homme petit et fin, au regard d’une acuité déconcertante. Il s’appelle Shen. Il fait signe à Koffi de s’asseoir, puis sans un mot, prend son poignet, et pose délicatement trois doigts sur le radial au niveau du poignet. Le contact est léger, presque imperceptible. Pourtant Koffi sent quelque chose — une forme d’attention intense. Le docteur Shen ferme les yeux.
Après un moment, d’une voix calme, Shen lui dit : « Le Qi ne circule pas. Il y a une invasion de Vent – Humidité. » Koffi, un peu gêné, toussote : « Une invasion… par quoi exactement ? Des bactéries ? Un virus ? »
Shen ouvre les yeux et penche la tête : « Non. Des énergies perverses. Des souffles extérieurs. Vent, Froid, Humidité. Ils sont entrés. Ton corps a ouvert la porte. »
Koffi est un peu déconcerté par ce discours, mais il sent qu’il peut faire confiance à cet étrange docteur. Shen continue : « Tu as mal au réveil, mais moins en bougeant ? »
Koffi hoche la tête. « Une sensation de lourdeur dans la jambe ? La douleur qui bouge un peu ? » Koffi acquiesce à nouveau.

Le syndrome Bi

« Syndrome Bi », conclut Shen. « Blocage du Qi et du Sang dans les méridiens. » Il marque une pause, puis : « On va faire circuler. Tu vas voir. »
Il sort ses aiguilles d’acupuncture, et commence son traitement. Shen les manipule comme un calligraphe, avec une concentration tranquille, presque affectueuse. Il en insère une dans la jambe de Koffi, juste sous le genou. Une autre dans la cheville. Puis encore une, près de la hanche. « Tu vas sentir comme un fil qui se tend, dit-il calmement. C’est le Qi. Il répond… Il revient. »
Koffi sent effectivement quelque chose, une sorte de fourmillement profond. Il veut en savoir plus sur ce Bi et questionne Shen.
Celui-ci se redresse : « “Bi”, veut dire “obstruction”. C’est quand quelque chose bloque la circulation du Qi et du Sang. Quand le corps devient comme une ville avec des bouchons : les rues sont là, mais rien ne bouge. » Et il lui explique qu’il existe différents types de Bi, chacun ayant sa personnalité (voir encadré).
Puis il continue : « Ces douleurs qu’on ignore, ces petits bobos qui “vont passer”, parfois ce sont des Bi. Et si on les laisse s’installer, ils deviennent chroniques. Ils s’infiltrent. Ils rongent. Et un jour, tu ne peux plus lever le bras. Ou marcher. Ou dormir. »

La douleur : un signal à prendre au sérieux

Le regard planté dans celui de Koffi, il lui dit : « Ce n’est pas urgent parce que c’est grave. C’est urgent parce que c’est léger. » Koffi cligne des yeux : « Tu veux dire… que plus c’est discret, plus il faut y faire attention ? »
Shen sourit pour la première fois. « Exactement. Le corps parle doucement, au début. Ensuite, il crie. Et parfois, il se tait… mais il s’abîme. »
Koffi commence à percevoir que la médecine de Shen n’est pas une médecine “alternative”. Qu’elle est une lecture ancienne du vivant, précise, exigeante, mais profondément humaine.
Le traitement terminé, le docteur Shen retire les aiguilles, et lui dit encore : « La douleur, ce n’est pas l’ennemi. C’est une sonnette d’alarme. C’est le corps qui t’avertit qu’un déséquilibre est là, que quelque chose circule mal, ou pas assez. Et que tu as dépassé tes limites sans écouter. » Il lui explique que là où le Qi circule, il n’y a pas de douleur. Au contraire, là où le Qi stagne, la douleur apparaît. La douleur, c’est le Qi qui frappe à la porte parce qu’il n’arrive plus à passer.
Si on ignore ce signal, la douleur s’installe, voire change de forme. Et à la longue, si le déséquilibre perdure, la maladie s’installe. « La douleur – conclut Shen – c’est le corps qui demande un retour à l’harmonie. Ne le fais pas taire. Apprends sa langue. Et il te remerciera. »
En sortant du cabinet, Koffi n’est pas « guéri ». Pas encore.
Mais il marche autrement. Moins vite. Plus droit. Comme quelqu’un qui ne fuit plus sa douleur, mais qui l’écoute. Il commence à en percevoir le sens caché.

A retenir

Selon la MTC, le terme Bi signifie « obstruction ». Il s’agit d’une perturbation de la circulation harmonieuse du Qi (énergie vitale) et du Sang, Ce déséquilibre est souvent provoqué par l’invasion de souffles pathogènes externes, nommés Xie Qi : le Vent, le Froid, l’Humidité, et parfois la Chaleur.

Chaque type de Bi possède des caractéristiques spécifiques :
– Le Bi du Vent : douleurs migrantes, variables.
– Le Bi du Froid : douleurs fixes, profondes, aggravées par le froid.
– Le Bi de l’Humidité : sensation de lourdeur, gonflements, engourdissement.
– Le Bi de Chaleur : douleurs intenses, rougeurs, inflammation.
Voici quelques situations pouvant générer des Bi :
• Des horaires anarchiques au lever et au coucher, ou le surmenage, blessent le Qi et le Sang, affaiblissent les méridiens et fragilisent les défenses de l’organisme. Ce qui permet aux Pervers externes d’y pénétrer.
• Un habitat Froid ou humide, une activité professionnelle exposant au Froid, au Vent et à l’Humidité sont favorables à la pénétration des Pervers Vent-Froid-Humidité dans l’organisme.
• L’abus d’alcool, une alimentation trop riche ou insuffisante blessent le Qi de la Rate, entraînant la production interne de Mucosités et d’Humidité qui circulent alors dans les méridiens.
• Une alimentation excessive blesse le Jing et le Sang. Le Vide de Yin entraîne l’excès du Feu et le Sang n’arrive plus à nourrir les Tendons.
• La stagnation des Sept Sentiments (la Colère, la Joie, le Choc émotionnel, les soucis, la Tristesse, l’Excès de Réflexion, la Peur), et la stase de Sang dans les méridiens.
• Des hématomes ou une stagnation de Sang après un traumatisme externe.

La stagnation

La stagnation

Quand l’énergie se fige

Dans la vision subtile de la Médecine Traditionnelle Chinoise (MTC), la vie est mouvement. Le Qi, le Sang et les Liquides organiques doivent circuler librement, comme un souffle à travers les branches, comme un ruisseau entre les pierres. Ce flux vital soutient la santé, la clarté de l’esprit, et la paix du cœur. Mais parfois, ce courant ralentit. Il tourbillonne sans avancer, se trouble, s’épaissit… et finit par stagner.

Ce phénomène s’appelle la stagnation. Il ne s’agit pas d’un état figé, mais d’un déséquilibre progressif, souvent insidieux, qui peut ensemencer la plupart des troubles chroniques modernes. Quand l’énergie cesse de danser, la vie devient plus lourde, plus tendue… parfois douloureuse. Cette stagnation est à l’origine de nombreuses pathologies.

Des émotions réprimées

La stagnation peut affecter différents niveaux. La plus fréquente est la stagnation du Qi, notamment au niveau du Foie, maître de la libre circulation dans le corps. Ce déséquilibre est directement lié aux émotions contenues, non exprimées, aux stress subis, à la frustration voire à la colère ravalée. L’être humain moderne en est saturé. Les signes sont souvent discrets mais révélateurs : tensions dans les flancs, soupirs fréquents, humeur fluctuante, oppression thoracique, troubles menstruels, et même dépression.

Lorsque la stagnation persiste, elle s’approfondit. Le Sang, à son tour, peut cesser de circuler harmonieusement. On parle alors de stase de Sang. Ce type de stagnation est plus dense, plus enracinée. Elle se manifeste par des douleurs fixes, localisées, souvent nocturnes, parfois violentes. Elle est à l’origine de nombreux troubles gynécologiques — endométriose, fibromes, règles douloureuses — mais aussi de masses, de nodules, ou de cicatrisations anormales.

À un autre niveau, la stagnation peut concerner les liquides organiques, et engendrer une accumulation d’humidité ou de mucosités. Cela crée un état de lourdeur physique et mentale : digestion lente, fatigue poisseuse, langue pâteuse, membres lourds, glaires, confusion mentale. C’est la stagnation douce, lente, invisible — mais tenace.

Quand l’inflammation s’installe

Parfois, la nature de cette stagnation évolue encore. Le Qi excessivement stagnant génère de la chaleur née de la friction. Ce phénomène est redouté en MTC : la stagnation se transforme alors en chaleur. Ce feu interne peut se manifester par des inflammations, de l’irritabilité, des rougeurs, une sensation de chaleur localisée, voire des hémorragies ou des troubles de la peau. C’est un tournant dans le déséquilibre : à ce stade, le blocage ne cherche plus seulement à se libérer — il attaque.

Ce feu de stagnation peut s’enraciner dans les tissus et évoluer vers des formes pathologiques complexes. On parle alors de « glaires-chaleur » (Tan Re), une forme d’accumulation perverse qui s’insinue dans les organes profonds, formant des masses dures, chaudes, douloureuses. C’est ainsi que, dans l’optique de la MTC, certains processus dégénératifs comme les kystes, les nodules, ou même les tumeurs peuvent prendre racine non par agression extérieure, mais par accumulation intérieure non résolue.

Ce déséquilibre touche tous les âges et toutes les couches sociales. Les femmes y sont souvent plus sensibles en raison de la cyclicité de leur sang et de leur lien profond au Foie et à l’Utérus. Mais les hommes, les enfants, les personnes âgées, les sédentaires comme les hyperactifs y sont également exposés.

Les signes de la stagnation

Car la stagnation ne naît pas directement du manque de mouvement physique : elle émerge essentiellement de déséquilibres émotionnels.

  • Le Foie gouverne la colère et la souplesse émotionnelle. Sa stagnation empêche l’adaptation et la fluidité psychique.
  • Le Cœur gouverne l’esprit (Shen) ; une stagnation persistante perturbe le Shen.
  • La Rate, affaiblie par l’excès de rumination ou d’inquiétude, peut produire des Glaires qui bloquent le mental.
  • Les Reins, en cas de vide, peuvent priver le Cœur et le Foie de leur base Yin ou Yang.

Il est possible de ressentir cette stagnation avant qu’elle ne devienne pathologie. Une digestion pesante, une langue légèrement violacée, des douleurs diffuses, un sommeil perturbé, un cycle menstruel irrégulier sont des signes de stagnation. De même, un besoin constant de soupirer, un ressenti de blocage dans la gorge ou le plexus.

Une diète adaptée

En MTC, on traitera la stagnation par la pharmacopée, l’acupuncture,  et bien-sûr la diète. Ce que l’on mange n’est pas seulement matière mais aussi information. Une diète adaptée peut prévenir l’apparition de stagnations, ou dissiper celles qui s’installent.

Lorsque le Qi du Foie est enfermé, on recommande une diète printanière, légère et montante. Elle favorise la libre circulation. Les légumes verts, les pousses, les herbes aromatiques comme la menthe, le radis blanc, le céleri, les agrumes, le thé vert léger sont de puissants alliés. À l’inverse, les excès de graisses, de viande rouge, de sucre raffiné ou d’alcool aggravent la pression interne.

Quand le Sang se fige, on se tourne vers une diète de vitalisation sanguine. Les aliments rouges, nourrissants et fluidifiants sont les plus indiqués : betterave, riz noir, œufs de caille, baies de goji, carottes, une pointe de vin rouge naturel. Tout ce qui est froid, industriel, ou trop salé est à éviter.

Un traitement personnalisé

Contre la stagnation d’humidité, souvent liée à une Rate affaiblie, on privilégie une diète asséchante et tiède. Haricots rouges, graines de lotus, orge perlée, gingembre sec, poivre blanc, légumes racines cuits à la vapeur. Les produits laitiers, les bananes, les crudités froides et les jus sucrés sont les principaux saboteurs de cette dynamique.

Et lorsque la stagnation s’est déjà transformée en chaleur, il convient d’apaiser tout en drainant : le lotus, le chrysanthème, la racine de pivoine blanche, le concombre cuit, le céleri, le melon amer, les soupes claires à base de légumineuses légères peuvent alors accompagner une stratégie plus globale de détoxification douce. On ne combat pas le feu par le gel, mais par l’humidité fraîche et ordonnée.

Mais on obtiendra les meilleurs résultats en combinant les différents outils de la MTC, avec un diagnostic et un traitement personnalisés. Il sera souvent précieux d’y ajouter un soutien émotionnel et de l’exercice physique voire du qi gong.

Cultiver un esprit calme

Les émotions jouent donc un rôle majeur dans la genèse de la stagnation. Selon l’émotion concernée, celle-ci va se manifester dans l’organe qui lui est relié.
Ainsi, une joie excessive – ou excitation – entraîne une stagnation du qi dans le cœur. Celui-ci peut se mettre à battre de façon irrégulière ou trop rapide. Cela peut également entraîner de l’hypertension, des insomnies, un esprit agité etc.
La colère entraîne une stagnation du qi du Foie, le principal organe responsable de la libre circulation du qi dans le corps. Celle-ci peut entraîner des problèmes de vision, de la diarrhée, des ongles secs et cassants, des acouphènes, des vertiges, des maux de tête. Cette stagnation – ou surpression du qi du Foie – est aussi à l’origine du syndrome prémenstruel ou de dépression. Selon Le Classique de Médecine Interne de L’Empereur Jaune, la douleur dans le corps est le résultat direct de la colère qui interfère avec le flux de Qi dans le Foie.
Une pensée ou une rumination mentale persistante peut conduire à la stagnation du qi dans la Rate et à la perte de sa vitalité. Cela peut aboutir à une diminution de l’appétit, à des ballonnements, un esprit embué, et à un manque de capacité à résoudre les choses.
Pour remédier à cela, il est donc important d’être en alerte sur nos émotions, d’en être conscients, et de ne pas les laisser nous contrôler.
En cultivant un esprit calme au quotidien, on limitera les risques de débordements émotionnels, et donc de stagnation.